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Le numérique et l’innovation sont au cœur des activités de Thierry Barbaut, Expert de ces écosystèmes. Depuis plus de 30 ans, passionné par l’Afrique, il participe à l’implémentation de programmes ayant pour objectifs la protection de l’environnement et le développement de villes plus durables sur le continent. Et ce, principalement dans les secteurs de l’énergie, de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et de l’entrepreneuriat.
Dans cette interview, il nous partage son expérience et nous démontre comment la technologie et l’innovation peuvent révolutionner les systèmes agricoles.
- Parlez-nous de votre parcours. Comment vous est venu votre attachement pour le continent africain ?
Mon père m’a fait découvrir l’entrepreneuriat très jeune dans l’industrie automobile et la logistique, j’ai eu l’occasion de l’accompagner sur quelques déplacements en Afrique. Tout au long de mon cursus scolaire, j’imaginais comment pouvoir développer les activités de l’entreprise à l’international et ce qu’il serait possible de faire sur un continent gigantesque comme l’Afrique.J’ai eu la chance de faire un service militaire avant d’entrer dans la vie professionnelle et j’ai souhaité le faire en Afrique, à Djibouti, en m’engageant dans une armée de métier. C’était un dispositif intéressant qui a disparu, le Volontariat Service Long en Outre-Mer (VSLOM) et sur une durée de 24 mois. Une expérience fantastique à Djibouti sur la corne de l’Afrique qui m’a permis de découvrir l’Ethiopie et la Somalie en participant à des opérations de soutien aux populations en contexte de conflit.
Je suis revenu avec l’envie de monter des projets de développement économiques et sociaux dans ces pays ou les besoins sont immenses, je voyais par exemple le potentiel de l’énergie solaire ou de l’agriculture et la gestion de l’eau si précieuse et les synergies potentielles entre les nouvelles technologies naissantes. Je suis devenu passionné de tout ce qui à trait avec l’Afrique, la culture, l’économie, l’histoire, la géopolitique et j’ai passé toutes mes vacances pendant 30 ans à voyager systématiquement dans différents pays, un apprentissage terrain fantastique, traverser et découvrir ces pays tout en me formant au concret dans les différents métiers que j’exerçais avec toujours ce leitmotiv de lier les thématiques du développement avec les technologies innovantes fut aussi passionnant qu’instructif. J’ai pu créer, développer et entretenir ce qui allait devenir un formidable réseau de contacts à travers le continent.
A partir de 1995 avec le téléphone mobile et internet tout a basculé. Ma deuxième passion étant le numérique, j’ai d’abord commencé à me former moi-même en lisant les livres car aucune formation n’était disponible et j’ai appris à coder, ce fut une forme d’apprentissage qui ne m’a jamais quitté car j’ai ensuite toujours été en veille sur les évolutions des technologies en développant des solutions innovantes dans les entreprises où je travaillais.
J’ai pu ensuite réunir mes deux passions,l’Afrique et les nouvelles technologies: l’Afrique en synergie avec la révolution des nouvelles technologies dans la mise en place de nombreux projets avec des entreprises mais aussi des ONG, des fondations et des associations. Ce liant me permettait de proposer des projets à impacts avec les grandes thématiques du développement : l’eau, la santé, l’éducation, l’agriculture, l’énergie et bien sur l’environnement, des thématiques toutes étroitement liées, j’apportais et j’apporte toujours la touche technique aux projets pour qu’ils intègrent les nouvelles technologies selon les moyens et le niveau de maturité des différents partenaires. Depuis mes 25 ans, ensuite avec l’arrivée d’internet et dans les années qui suivirent, tout s’est très vite mis en place sur de superbes projets avec en point d’orgue mes deux passions et cela ne m’a jamais quitté.
- Comment le numérique peut-il, selon vous, contribuer à la durabilité des systèmes alimentaires sur le territoire africain ? Quels sont les leviers à activer ?
Le numérique regroupe de nombreux sujets et techniques, c’est une révolution sociétale mondiale dont nous ne prenons pas assez la mesure.C’est certainement le plus grand changement que l’humanité n’ai jamais connucar il impacte quasiment tous les secteurs. Avec les technologies présentes, les usages sont déjà colossaux. Il suffit de regarder ce que nous pouvons faire avec un smartphone et imaginer qu’il est apparu il y a seulement 14 ans. En Afrique c’est plus de 900 millions de cartes SIM en service, soit plus qu’en Europe et aux Etats-Unis réunis. Imaginons ce qu’il va être possible de faire dans 10 ans, intelligence artificielle, réalité augmentée, blockchain… C’est impressionnant et nous n’en mesurons que peu les effets potentiels dans de nombreux domaines et les bouleversements qui en incombent comme le changement de nos usages professionnels ou familiaux.
L’alimentation en Afrique est un sujet aussi crucial que passionnant car60% de l’activité économique des 54 pays est basée sur l’agriculture qu’elle soit vivrière ou non ou sur les thématiques transverses. Pour cultiver et récolter, il faut la terre nourricière et très souvent fertile en Afrique, de l’eau, des semences, de la transformation, du stockage, de la distribution, et bien sur l’ensemble des technologies associées. Le solaire, la biomasse, le paiement électronique, l’investissement ou l’épargne, la relation client, le suivi et le traçage. Tout est boosté par les technologies. Celles-ci doivent devenir plus accessibles tant au niveau des infrastructures que leur coût qui peut être encore exorbitant dans certains pays.
Aujourd’hui il est possible de suivre ses cultures avec un survol de drone par jours et de détecter sur des dizaines d’hectares les animaux qui divaguent et détruisent les cultures ou des zones à irriguer en urgence en économisant 98% de temps pour d’autres taches plus rentables. Il est possible de mettre en place de simples programmes d’adduction d’eau avec des pompes solaires connectées qui gèrent les débits et l’énergie avec des rendements impressionnants.
Les leviers à activer, de manière non exhaustive, sont les suivants :les organisations, les entreprises, les fondations et les états doivent mieux coopérer avec des outils attractifs. J’entends ici par outils les financements, les infrastructures, les moyens techniques, les filières de formations comme de distribution et bien sur le contexte législatif local. Il est aujourd’hui beaucoup trop complexe d’investir dans ces secteurs sans souffrir de systèmes administratifs et législatifs complexes et parfois incohérents avec le besoin des consommateurs.
Je vois des opérateurs modifier leurs activités pour se plier à des appels d’offres en décalage avec les contextes locaux qui finalement les empêchent de déployer les projets. Cela passe donc par des appels à projets en commun plus souples, des adéquations entre prêts et subventions, des capacités à financer les projets mais aussi et surtout les ressources humaines des projets. J’évoque souvent les HUB locaux qui doivent être des places fortes des rencontres entre les opérateurs locaux et les porteurs de projets et les bailleurs de fonds ou les organisations internationales. Ces dispositifs sont très utiles et je l’ai constaté de nombreuses fois sur le terrain.
- Quelle est votre approche conceptuelle de l’innovation ? Comment s’applique-t-elle aux projets que vous accompagnez ?
L’innovation peut être puissante et très technologique comme la livraison de sang au Rwanda avec des drones depuis 2016. C’est ici un mix de drones électriques, qui sont des petits avions cargo avec une trappe qui lâche un colis équipé d’un parachute, avec des techniques de cartographie, du stockage avec les containers réfrigérés et solaires ou les commandes qui passent par des groupes WhatsApp qui connectent les centres de santé aux aérodromes…
Mais l’innovation avec le numérique c’est aussi de nouveaux modes simples de production comme les coopératives agricoles qui commandent les semences ou le transport ensemble sur des groupes WhatsApp très bien organisés. Les groupes sur les réseaux sociaux permettent d’agréger des systèmes financiers puissants comme l’épargne, le crédit, les mutuelles ou les assurances, la traçabilité.L’innovation pour moi c’est s’appuyer sur une nouvelle solution pour optimiser ce qui se faisait déjà. Faire confiance aux acteurs locaux en est la clé.
J’avais été très impressionné par l’engouement sur une simple application vocale qui permet d’écrire sur un smartphone ce qui est dicté oralement, je l’ai constaté au Togo, Bénin, Guinée, Burkina, Mali et au Sénégal. Pour des millions d’utilisateurs parfois illettrés, c’est un outil redoutable pour envoyer des messages texte via WhatsApp, rapidement et avec un faible poids de données ce qui est une économie de coût redoutable dans certains pays. On indique ainsi la récolte disponible, le coût négociable ou non, le lieu, les variantes de stockage et il est possible de transcrire dans de nombreux dialectes. Là aussi un atout bien adapté au contexte local. Voilà une innovation assez simple et très impactante dans les milieux agricoles en Afrique de l’Ouest.
- Pouvez-vous nous partager des exemples de projets agricoles innovants dans lesquels le numérique a été un levier ?
J’en ai des centaines sur les très nombreux projets soutenus financièrement, évalués ou sourcés en Afrique sur ces 20 dernières années. J’aime particulièrement ceux qui mettent en synergie des technologies et qui sont véritablement adaptés aux contextes locaux. Pour que ce soit réussi et donc que le projet soit pérenne il faut que les bénéficiaires puissent s’approprier le projet et donc l’innovation et la technologie mises à disposition. Je dis souvent quece doit être la technologie au service des humains et non l’inverse.
Concrètement, j’ai évalué des projets de réintroduction de céréales comme le mil au Sénégal ou des astucieux « moulins à moudre le mil solaires » se déploient rapidement. Ils cumulent l’utilisation d’énergie verte illimitée et gratuite, suppression du bruit et de la pollution des moteurs thermiques, rendements optimisés, activités économiques transverses avec la location aux villages alentours avec du paiement à la demande (boitier connecté du moulin électrique à l’application du smartphone), et des systèmes de coopératives de femmes formées aux activités commerciales et comptables. L’impact local est impressionnant avec des créations d’emplois et la relance économique des villages qui, à leurs dépens, perdaient la culture du mil… Avec ces systèmes les femmes accèdent à un compte en banque, elles épargnent en sécurité et prennent leur destin en main, les conditions de travail sont meilleures, la mise en place des projets les forment à travailler avec les entreprises qui proposent la construction et la maintenance des moulins solaires, elles apprennent la gestion comptable, le suivi, la gestion administrative.Le numérique joue ici un rôle de levier économique avec la bancarisation qui sécurise les biens et les personnes.
L’agriculture en Afrique requiert une industrialisation et des changements d’échelle comme avec les centrales solaires connectées, la gestion de l’eau intelligente afin de mieux piloter les ressources la conservation et la distribution des solutions numériques sont déployées avec succès dans ces domaines cruciaux. Un grand programme de compteurs connectés en RDC est aussi en phase de déploiement pour l’irrigation et l’industrialisation de sites de production agricole. En plus d’agir en levier,le numérique lutte contre la fraude et la corruption, là aussi un effet levier indéniable même si bien sûr il existe des freins à ces développements.
- Dans le domaine agricole, quels peuvent être selon-vous les limites / inconvénients du numérique et de l’innovation ?
Les lacunes en formations et montées en compétences sont impressionnantes. Pour développer l’agriculture 2.0, il faut former, appliquer, déployer, mais aussi anticiper et savoir faire preuve d’agilité au risque de rater le virage technologique.
Thierry Barbaut
Un des points clés qui pour moi est un levier immense, c’est dedévelopper les hubs de technologieset sans parler de sites futuristes, il est ici question de permettre aux porteurs de projets de rencontrer les investisseurs et les bailleurs, de former les jeunes et les moins jeunes aux technologies adaptées aux contextes locaux, de former aux technologies localement pour embaucher dans ces pays des professionnels qui, eux seuls, connaissent l’écosystème culturel et économique des pays mais aussi des régions. C’est une des clés du développement, ces HUB sont en pleine croissance partout en Afrique et dans le monde. Il réunissent des expertises dans les thématiques que je citais plus haut mais aussi bien sûr dans l’agriculture.
Au-delà des HUB, il faut des tiers lieux du numérique dans les quartiers et dans les régions. Ces lieux doivent être les antennes locales de ces HUB pour ne pas créer des scissions entre les grandes villes et les villages et rester connectés aux lieux de production. Sans jeux de mots ne pas être « hors sol ». Il faut donc des initiatives locales, de taille moyenne et rapide à déployer avec des impacts concrets sur les citoyens.
Dans une autre échelle de taille et de temps il faut déployer de grands programmes technologiques innovants comme le Global Gateway de l’Union Européenne avec le D4D Hub. L’initiative a été appuyée par le Président Emmanuel Macron lors du Sommet Union Africaine – Union Européenne en mai 2022 et est dotée de plusieurs milliards d’euros ver l’Afrique. Trois axes thématiques et stratégiques en sont les piliers : les infrastructures, la formation et les écosystèmes d’innovation. Les infrastructures avec les télécoms et le fait de déployer des projets qui rendent l’internet moins cher et donc plus abordable sur le continent. La formation pour permettre aux entreprises comme aux citoyens de s’approprier les nouvelles technologies et le numérique et ainsi créer du savoir-faire local et de l’emploi. Enfin les écosystèmes innovants pour créer des places physiques fortes des nouvelles technologies, les HUB en lieux de convergence.
Si un accent important n’est pas mis sur ces écosystèmes physiques alors le risque est de passer à côté du potentiel des outils numériques et de cette révolution en ne formant pas assez de personnes. L’Afrique ne peut pas se le permettre.Elle joue déjà un rôle moteur mondial avec l’explosion de l’usage du compte en banque sur mobile ou elle fait figure de modèle. Mais le temps s’accélère avec les milliers de projets et de technologies, elles évoluent sans cesse et les besoins aussi avec la demande en nourriture mais aussi sur l’eau, la santé, les emplois… Cette réalité démographique et économique doit être portée par les états, les grands bailleurs de fonds mais aussi les entreprises pour qu’elle soit durable et équitable. Dans tous les cas, la mutation est brutale et ne nous laisse peut-être pas vraiment le choix, il est en effet difficile d’imaginer revenir en arrière.
Je pense donc que le cadre est posé et qu’il faut se mobiliser pour amplifier la démarche d’innovation frugale avec des projets audacieux portés par de grands opérateurs panafricains et internationaux.
Interview avec Thierry Barbaut, Expert écosystèmes innovants
Une réponse sur “Thierry Barbaut : « Pour développer l’agriculture 2.0, il faut former, anticiper et savoir faire preuve d’agilité »”
Bonsoir. Je suis vraiment intéressée par linterview de Mr Thierry Barbault sur l’écosystème innovant. J’ai voulu participer au prix Pierre Castel à Madagascar by l’entreprise Star mais je suis déjà 47 ans et ne fait plus partie du concours. En fait, j’exploite le soja d’une façon bio dans la participation de lutte contre la malnitrition de mes compatriotes et aussi dans la préservation de l’environnement tout en valorisant les déchets. Que faire? Je souhaiterais développer mon activité pour developper mon pays. Comment recevoir votre appui? Merci