ACTUALITE – Dans son analyse de l’agriculture africaine publiée en novembre 2022 sur Africa Presse Paris*,  Papa Abdoulaye SECK affirme que les changements climatiques, les pertes de biodiversité, l’incapacité de l’homme à nourrir l’homme, les crises agricoles fréquentes militent pour de nouvelles civilisations agricoles.

*Africa Presse Paris, Agence de l’actualité économique africaine à Paris. Tribune publiée le 24 novembre 2022.

Il faudrait entendre une interdépendance et une solidarité entre l’homme et la nature pour d’une part, nourrir les populations et d’autre part, assurer une solidarité agricole intergénérationnelle pour que le futur existe et soit meilleur qu’aujourd’hui.

Dans le cadre de cette construction de nouvelles civilisations, il énonce 8 repères :

1er repère : Pas de modèle agricole de portée universelle.

Ce sont les réalités de terrain qui doivent servir de boussole. Car un tailleur sur mesure est toujours plus précis qu’un tailleur prêt à porter. La prise en compte de l’hétérogénéité des systèmes de production, de transferts et de consommations et des écosystèmes est essentielle pour réussir en agriculture.

2d repère : Viser une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable avec comme option fondamentale la souveraineté alimentaire.

Pour le Dr Papa Abdoulaye SECK, il est important de souligner que la souveraineté alimentaire ne doit pas signifier autarcie. Une politique de souveraineté alimentaire doit reposer sur les éléments suivants :

  • Assurer une autosuffisance pour des produits de base ;
  • Minimiser graduellement les importations ;
  • Augmenter ses parts de marché au niveau international ;
  • Fortifier le tissu industriel, miser sur la durabilité.

3e repère : L’agriculture de demain doit résulter d’une combinaison de 9 critères :

Productivité, qualité sanitaire, qualité phytosanitaire, qualité organoleptique, étalement de la production dans le temps, étalement de la production dans l’espace, gestion des ressources naturelles, résidence aux changements climatiques, diversification. Dans les nouvelles civilisations, l’accent n’est pas mis uniquement sur la productivité et sur le productivisme.

4e repère : Le transfert de technologie n’est pas une fin en soi.

L’Afrique doit être un consommateur et un producteur de connaissances et de technologies mais pas un simple consommateur. Par conséquent, ce continent doit soutenir ses systèmes nationaux de recherche agricole, développer un partenariat très fort avec les centres de recherche agricole avancés, se positionner au niveau du CGIAR et tirer profit des acquis scientifiques de l’Académie africaine des Sciences et des académies nationales.

5e repère : Soutien conséquent aux petits exploitants, aux femmes et aux jeunes.

Une agriculture se développe dans la diversité et avec la diversité. À l’évidence, le continent africain ne peut assurer une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable en ignorant, dans sa stratégie, la nécessité et l’urgence d’un soutien aux exploitations traditionnelles, à la jeunesse rurale et aux productrices. Ils ont encore des marges de progression importantes. Il suffit de créer les conditions idoines pour une appropriation et une incorporation des innovations technologiques existantes. On devrait aussi veiller à une meilleure équité dans le cadre de la distribution des facteurs de production subventionnés.

6e repère : Promotion d’un secteur privé travaillant en bonne intelligence avec les exploitations familiales.

Les exploitations familiales ont de bonnes raisons d’exister, de prospérer et d’apporter une contribution remarquable à la recherche d’une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable. Mais le continent a aussi besoin d’un secteur privé parmi ses acteurs majeurs de développement rural. Toutefois, il faut faire une différence entre la sécurisation de l’investissement privé et le transfert définitif de propriété. Il n’est pas pertinent de construire un marché foncier rural, synonyme d’accaparement des terres. La terre doit rester la propriété de la collectivité qui peut avoir un partenariat gagnant-gagnant avec le secteur privé.

7e repère : Mise en place d’infrastructures de base.

Sans des routes et des pistes praticables, une véritable politique d’électrification rurale, il n’est pas possible de diminuer les pertes post-récoltes, de réduire les coûts de transactions, de favoriser l’accès au marché et de sécuriser les revenus ruraux. Très souvent, il est plus judicieux de mieux protéger ce qui est produit que d’augmenter la production.

8e repère : Intensification durable en lieu et place d’une intensification incontrôlée.

Il s’agit d’un préalable pour assurer la durabilité des capacités productives des écosystèmes et l’équilibre biologique de l’environnement d’où la nécessité de promouvoir des approches agroécologiques fondées sur des évidences scientifiques.

Conclusion : l’Afrique peut effectivement être l’avenir pour l’agriculture. Elle doit comprendre « qu’on ne mange pas le potentiel » et créer des systèmes d’innovation ou écologie de l’innovation. En d’autres termes, il convient de transformer le partenariat en actionnariat rural en vue d’une exploitation optimale des complémentarités entre acteurs, expression d’une volonté commune d’une transformation positive et durable de l’agriculture africaine.

Docteur Papa Abdoulaye SECK est spécialiste de l’agriculture. Actuellement Ambassadeur du Sénégal en Italie, il a été Ministre de l’Agriculture au Sénégal de 2013 à 2019.


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