Etude réalisée par La Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM) et la Fondation Avril. Elles travaillent depuis 2019, sur le rôle des politiques publiques en faveur du développement durable des filières agricoles en Afrique.

Initialement motivé par les problèmes structurels auxquels est confronté le continent, au regard notamment de l’insécurité alimentaire, du chômage et de la déforestation – problèmes dont la solution passe en partie par la transformation des chaînes de valeur agricoles -, le thème de cette étude trouve une justification renforcée par l’actualité. L’envolée des prix mondiaux des denrées, déclenchée par la déstructuration des circuits d’approvisionnement due à la pandémie de Covid-19 et amplifiée par l’impact de la guerre russo-ukrainienne sur les marchés et les craintes liées à la sécheresse dans plusieurs zones de production, menace l’Afrique d’une crise alimentaire grave. Elle souligne la nécessité pour la région de réduire sa dépendance aux importations, compte tenu du doublement prévu de sa population en 2050 et de l’effet généralement dépressif du changement climatique sur les rendements des cultures.

L’engagement des politiques publiques

Dans la Déclaration de Malabo, en 2014, les Etats membres de l’Union africaine se sont engagés à adapter leurs politiques pour réaliser « la croissance et la transformation accélérées de l’agriculture (…) pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie ». Le dernier rapport d’évaluation, publié en mars 2022, est alarmant. Sur les 51 pays qui ont fourni des données, un seul – le Rwanda – est jugé « en bonne voie » d’atteindre les engagements de Malabo d’ici à 2025. La présente étude examine tout d’abord les liens éventuels entre les performances des Etats relatives à la Déclaration de Malabo et divers facteurs agricoles et non agricoles, reflétant respectivement les performances de l’agriculture et des caractéristiques générales de l’économie, de la démographie ou de la qualité de l’environnement politique et institutionnel dans chaque pays. Faute de connaître la quantification de tous les indicateurs utilisés pour évaluer les performances des Etats quant aux engagements de Malabo, il n’a pas été possible d’identifier précisément ce qui explique le succès ou l’échec des politiques menées, à l’exception de l’accès aux intrants et aux technologies agricoles. Cela n’est pas étonnant, car les politiques agricoles sont très diverses et interagissent elles-mêmes avec d’autres politiques. La capacité des Etats à articuler leurs différentes interventions devient dès lors cruciale. D’ailleurs, la qualité du cadre politique et institutionnel, dans chaque pays, est fortement corrélée avec son classement relatif aux engagements de Malabo.

Cas pratiques dans 6 pays d’Afrique

Pour approfondir l’analyse et l’illustrer par des exemples concrets, les fondations ont passé en revue quelques instruments de politique publique mis en oeuvre dans six pays africains pour lever les contraintes au développement durable de certaines filières agricoles. Ce travail s’est appuyé sur des entretiens avec des acteurs, principalement africains, des filières concernées. Il a porté sur les thématiques suivantes :

  • Côte d’Ivoire et Ghana : Volonté d’augmenter le prix payé aux producteurs de cacao grâce à l’instauration par les gouvernements d’un « différentiel de revenu décent », s’ajoutant au prix du marché mondial ;
  • Sénégal : Fermeture quasi-totale aux importations de viande de poulet, appliqué depuis 2005 pour stimuler l’expansion des filières avicoles locales ;
  • Rwanda : Développement de la filière maïs, considérée comme prioritaire, pour assurer la sécurité alimentaire du pays et accroître les revenus agricoles ;
  • Togo : Renforcement de la filière soja, via notamment la professionnalisation des producteurs, le développement de la transformation locale et le rôle stratégique de l’organisation interprofessionnelle regroupant tous les acteurs du secteur ;
  • Sénégal : Transformation d’une céréale locale, le mil, afin de répondre à la demande croissante des consommateurs urbains ;
  • Ghana : Informatisation et la sécurisation de la délivrance des titres fonciers, grâce à la blockchain.

Les principales leçons tirées

La hausse de la productivité agricole est une condition nécessaire, mais non suffisante, au développement de filières performantes et durables.

La mise en oeuvre conjointe de plusieurs instruments – recherche variétale, subventions aux intrants, formation et conseil agricoles – a permis d’obtenir des progrès significatifs, mais une intensification écologique de la production reste un défi en termes notamment de recherche et d’innovation, de rémunération des producteurs et d’organisation des chaînes de valeur.

La création de valeur et d’emplois passe par des stratégies de transformation locale et de segmentation des marchés.

Cette orientation exige, de la part des gouvernements, à la fois des soutiens aux différents maillons des filières et des arbitrages entre leurs intérêts respectifs, concernant notamment le partage de la
valeur.

La politique commerciale extérieure a un rôle à jouer pour favoriser le développement des filières locales.

Cependant, son utilisation est délicate, compte tenu des effets pervers susceptibles d’être engendrés par les protections à l’importation et les taxes à l’exportation, selon leur niveau et la durée de leur application.

Une limite de la politique commerciale est illustrée par la stratégie des grand pays exportateurs de cacao, en Afrique de l’Ouest, de jouer de leur poids sur le marché mondial pour rehausser les prix payés à leurs producteurs.

Celle-ci n’a des chances d’aboutir que si les consommateurs, dans les pays du Nord, acceptent une hausse des prix du chocolat en contrepartie de résultats probants, notamment sur la déforestation. Cela suppose que les gouvernements et les acteurs des filières, dans les pays producteurs, prennent des mesures résolues, efficaces et de grande ampleur.

L’existence d’organisations interprofessionnelles fortes aide à créer un consensus sur les orientations des filières.

En partenariat avec les Etats, elles peuvent définir une stratégie à moyen et long terme qui anticipe la volatilité des marchés et mette en place les outils permettant d’y faire face, tout en favorisant une
plus grande durabilité économique, sociale et environnementale de la production.

Le manque de financement est une contrainte majeure pour le développement des filières, à tous les niveaux.

Les obstacles peuvent néanmoins être réduits, sinon complètement levés, par divers dispositifs permettant de réduire la réalité et la perception des risques liés à l’activité agricole. Par exemple : la contractualisation tripartite entre une organisation de producteurs, un transformateur et une banque ; les fonds d’investissements ciblant les petites entreprises à fort potentiel de croissance ; l’utilisation d’autres instruments, tels que les assurances agricoles, les récépissés d’entreposage (warrantage) ou des fonds de garantie. Les interventions des Etats, via notamment les banques publiques, peuvent pallier la frilosité des banques commerciales et les inciter à s’engager.

Les nouvelles technologies ouvrent des voies prometteuses pour améliorer la durabilité des filières.

C’est le cas notamment pour l’enregistrement et la sécurisation des droits fonciers et des transactions foncières, grâce à la blockchain. En réalité, tous les maillons des chaînes de valeur pourraient tirer profit d’une adoption plus large des technologies du numérique et de la robotisation, en particulier pour assurer la traçabilité des produits agricoles, en lien avec les politiques sanitaires et de qualité et la lutte contre la déforestation. Cela implique une capacité des Etats à en définir et réguler les usages, afin d’éviter de creuser l’écart entre les acteurs capables de les acquérir et de les maîtriser, et les autres.

En conclusion, l’étude souligne le besoin pour les Etats africains d’élaborer des stratégies globales, à long terme, pour le développement durable des filières agricoles, de la production à la consommation, en passant par des mesures de politique commerciale. L’enjeu est à la fois d’accroître la production agricole et de stimuler les activités d’amont et d’aval, en particulier la transformation, qui constituent une source majeure d’opportunités d’emplois et de revenus. Des interventions publiques volontaristes peuvent contribuer à faire sortir les acteurs de l’économie informelle, encore largement dominante, et générer, ce faisant, de nouvelles ressources budgétaires ainsi qu’une meilleure protection sociale des travailleurs.

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