On ne présente plus Jean-Louis Rastoin qui grâce à ses nombreuses recherches rédige aujourd’hui des fiches techniques sur le concept des « systèmes alimentaires ». Une notion large et complexe nécessitant une approche systémique pour appréhender au mieux ses enjeux. Véritable outil de compréhension, ces fiches sont publiées sur le site de l’Académie d’Agriculture de France. Elles abordent de façon synthétique les dynamiques passées, présentes et futures des systèmes alimentaires dans le monde.

Source : Académie d’Agriculture de France

Ce travail de vulgarisation permet de brosser en seulement quelques pages les questions agricoles prégnantes auxquelles sont confrontées les populations mondiales en mettant en avant les tendances à l’œuvre. Dans cette fiche, Jean-Louis Rastoin se penche sur le concept de systèmes alimentaires en lui-même. En décrivant la genèse de la théorie des systèmes, son utilisation à travers les sciences dans le temps jusqu’à son usage en science sociale par Louis Malassis. Jean Louis Rastoin démontre ainsi l’importance et la complexité de la notion qui permet de questionner, révéler, les interdépendances entre acteurs mais aussi la structure des filières agricoles et les finalités escomptées, inhérente à chacun des systèmes alimentaires.

Une première approche universitaire rendant compte de la complexité et l’étendue de la notion abordée au sein du Blog Agir Avec l’Afrique.

Genèse de la théorie des systèmes

La théorie générale des systèmes a été formulée par un biologiste autrichien, le docteur Ludwig von Bertalanffy, dans les années 1930-1940 . Le concept de système a ensuite été utilisé pour développer la science des automatismes ou cybernétique dont la figure de proue est Norbert Wiener, physicien américain. L’utilisation de la théorie des systèmes dans les sciences sociales est plus récente. Elle est liée à l’apparition des ordinateurs de grande puissance ayant permis la réalisation de modèles de simulation. Kenneth Boulding, président de l’American Economic Association, a proposé une représentation des systèmes en 9 niveaux. Un informaticien du MIT, Jay Forrester, a mobilisé la méthode systémique pour mettre au point des réseaux de transport urbain. Lors du premier choc pétrolier de 1973, Donella et Denis Meadows se sont rendus célèbres par la publication d’un rapport (Les limites de la croissance) fondé sur une analyse systémique de la planète du point de vue de ses ressources naturelles. Ce rapport concluait sur les limites physiques d’une croissance exponentielle du fait d’un épuisement de ces dotations. Jean-Louis Lemoigne, ingénieur français venu aux sciences de gestion, s’est intéressé à l’entreprise comme système. Le sociologue Edgar Morin, à partir des notions d’ordre et de désordre, a mené une réflexion sur les systèmes complexes. Les applications de la théorie des systèmes concernent aujourd’hui l’ensemble du domaine scientifique, y compris l’agronomie.

On peut voir une rupture entre la méthode de pensée et d’analyse mise au point au siècle des Lumières par les philosophes français et en particulier par René Descartes (approche disjonctive) et celle qui résulte de la démarche systémique (approche holistique). La théorie des systèmes va privilégier l’analyse des processus par rapport à celle des structures en faisant l’hypothèse de non-stabilité de ces dernières et d’interactivité entre processus et structures. On peut retenir la définition suivante à la fois synthétique et opérationnelle : « un système est un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but » Joël de Rosnay, Scientifique, prospectiviste, conférencier et écrivain français d’origine mauricienne.

Le système alimentaire

L’expression système alimentaire a été utilisée pour la première fois par le professeur Louis Malassis, fondateur dans les années 1970 de l’école francophone d’économie agroalimentaire à Montpellier. Il en a donné une élégante et très pédagogique définition empirique :

Un système alimentaire est la façon dont les hommes s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour produire et consommer leur nourriture.

Louis Malassis, fondateur de l’économie agroalimentaire

En s’appuyant sur la théorie des systèmes, Jean-Louis Rastoin défini le système alimentaire comme

« Un réseau interdépendant d’acteurs (entreprises, institutions financières, organismes publics et privés), localisé dans un espace géographique donné (région, État, espace plurinational), et participant directement ou indirectement à la création de flux de biens et services orientés vers la satisfaction des besoins alimentaires d’un ou plusieurs groupes de consommateurs localement ou à l’extérieur de la zone considérée » .

Cette définition fait appel à trois référentiels :

  • Morphologique (les acteurs constitutifs)
  • Spatial (zones géographiques d’activité)
  • Dynamique (origine et circulation des flux de biens et services alimentaires).

La théorie des systèmes permet de prendre en compte en premier lieu la finalité de l’activité agroalimentaire. Elle caractérise ensuite les inter-relations entre les agents de toute nature formant le système (producteurs, intermédiaires de service, consommateurs, nutritionnistes prescripteurs, médias, associations de consommateurs, pouvoirs publics nationaux et supranationaux, etc.). Elle décrit la structure du système alimentaire à l’aide de variables d’état (par exemple : concentration des entreprises à un instant « T »), des variables imposées (par exemple : taux d’intérêt directeurs dans le pays) et des variables d’action (par exemple : niveau d’emploi dans le système).

Le système alimentaire peut être considéré comme un système :

  • Finalisé : satisfaction de la fonction de consommation alimentaire
  • Biologique par la nature de ses produits
  • Ouvert : Relations multiples avec les ressources naturelles de base (terre, climat, environnement socio-économique et culturel)
  • Complexe : Plusieurs millions d’agents économiques concernés en France dans l’agriculture, l’industrie alimentaire, la distribution, la restauration, les industries et services périphériques
  • Partiellement déterminé : La production du système est soumise aux variations aléatoires du milieu agro climatique et à la volatilité des marchés
  • À centres de commande multiples : Les entreprises, les institutions gouvernementales, les mouvements associatifs
  • À régulation mixte : Le marché, les États, les accords internationaux

L’apport de la théorie des systèmes pour l’étude de l’objet de recherche alimentation se situe ainsi au niveau de la délimitation du système, de la caractérisation de sa structure et de la compréhension de sa dynamique de fonctionnement sous la pression de forces tant internes qu’externes.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Le système alimentaire se caractérise par son extrême complexité associant des acteurs de nature et de taille très différentes. L’information et les signaux émis par ces acteurs sont d’une importance cruciale pour l’orientation et le fonctionnement du système. En raison de son caractère vital et stratégique, le système alimentaire fait l’objet de multiples pressions et d’une régulation mixte privée par le marché et publique par la réglementation.

Les contraintes à lever pour un développement durable (santé publique menacée, inégalités sociales, dégradations de l’environnement et changement climatique) devraient susciter des transformations dans la structure et dans le fonctionnement du système alimentaire à l’échelle locale, nationale et mondiale.

Ces contraintes s’accompagnent d’exceptionnelles opportunités dans le cadre d’une stratégie de différenciation qualitative des produits et de territorialisation des activités agricoles et alimentaires, sous réserve que des politiques volontaristes soient mises en œuvre rapidement.

Synthèse faite par Emile Salviat, Géographe du développement spécialisé en Etudes Interdisciplinaires des Dynamiques Africaines 

Ingénieur agronome, docteur d’État en sciences économiques et agrégé des universités en sciences de gestion, Jean-Louis Rastoin est professeur émérite à Montpellier SupAgro, fondateur et conseiller scientifique de la chaire UNESCO en « Alimentations du monde ». Il anime le comité de rédaction de la revue « Systèmes alimentaires / Food Systems » publiée par les Editions Garnier à Paris. Expert associé du Think Tank Ipemed, il est membre de l’Académie d’Agriculture de France. Son enseignement et ses recherches portent sur les systèmes alimentaires, les marchés agricoles agroalimentaires, la prospective et les stratégies d’entreprises.


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